L’Office public de la langue bretonne vient de publier les chiffres de l’enseignement bilingue et… ils ne sont pas bons. Pour la première fois, depuis 1977 et la création de la première école DIWAN, l’enseignement bilingue breton-français est en décroissance.
Dans le détail, on note une baisse globale de 302 élèves (-1.5%) tous réseaux et tous niveaux confondus. L’enseignement catholique perd 182 élèves cette année, le Réseau Diwan, 215 élèves, l’enseignement public reste lui en croissance mais très faiblement, soit 95 élèves. Nous sommes revenus cette année en dessous du chiffre symbolique de 20 000 élèves en enseignement bilingue, soit un chiffre très en deçà de l’objectif affiché de la convention de mars 2022 signée entre l’État et la région Bretagne sur la transmission des langues de Bretagne. Celle-ci prévoyait 30 000 élèves en 2027. Cet objectif ne pourra être atteint, il reste une seule rentrée scolaire avant l’échéance de la convention.
Dans l’enseignement catholique, on peut noter que c’est la 5ème année consécutive de baisse et la plus forte (- 3.4%). Elle est à mettre très clairement sur le compte d’une absence de volonté des autorités diocésaines de développer l’enseignement bilingue malgré les aides financières de la région Bretagne.
Pour Diwan, la situation devient réellement problématique car depuis 2018 Diwan a perdu -637 élèves c’est la 6ème baisse sur les 7 dernières rentrées scolaires et également une des plus fortes (-5.5%). Diwan traverse d’année en année différentes crises et la question bâtimentaire revêt aujourd ‘hui une importance cruciale. Nombre d’écoles du premier degré mais aussi des collèges sont aujourd’hui dans un tel état qu’ils peinent à attirer des parents au-delà d’un cercle de militants pour la langue bretonne. Il est urgent de trouver une solution juridique pour trouver les moyens de doter Diwan d’une structure à même de porter des bâtiments à la hauteur des attendus des parents d’aujourd’hui.
L’enseignement public était depuis 2017 le principal moteur de la croissance de l’enseignement bilingue (et depuis 2021 l’unique moteur) mais celui-ci commence à caler, avec une croissance qui n’atteint pas les 1% en cette rentrée (+0.85%). La baisse de la démographie scolaire ne peut être l’unique explication car il s’agit aujourd’hui de transformer des classes monolingues en classes bilingues comme l’indique d’ailleurs la convention État-Région. La programmation d’ouverture de sites primaires bilingues publics est ainsi passée d’un taux de concrétisation de 57 % sur la période 2016 / 2022 à moins de 17 % en 2023 et 2024. Il y a à la fois une opposition de certaines mairies, des équipes pédagogiques des écoles associée à un manque de volonté certain des autorités de l’Éducation Nationale en circonscription pour soutenir ces projets.
La difficulté réside également dans le manque d’enseignants bilingues, pour ouvrir de nouveaux sites ou de nouvelles classes, dans un contexte national de désintérêt croissant pour le métier d’enseignant. Or, tout est fait aujourd’hui pour alimenter cette pénurie. Le dispositif de formation continue longue à la langue bretonne (9 mois) mis en place seulement en 2024[1] pour les enseignants monolingues souhaitant enseigner en classes bilingues, n’a pas fait le plein cette année. Et pour cause, il y a eu une absence quasi totale de communication de la part de l’Education Nationale. Le rectorat de Rennes refuse que l’Office public de la langue bretonne réalise une campagne d’information, à l’instar de ce qui est mené en Occitanie avec l’Office public de langue occitane et ses quatre académies (voir ici le dispositif ENSEHAR).
Encore plus préoccupant, il n’y aura en région académique Bretagne aucune création de LPE bilingue (Licence de Professeur des Écoles) dans le cadre la réforme de la formation et du recrutement des enseignants. Le Président de l’Université de Bretagne Ouest (UBO) qui gère les INSPé en région académique Bretagne, a ainsi annoncé la création de 3 LPE monolingues (Rennes, Brest, Saint-Brieuc) pour un total de 100 places… sans un mot sur l’enseignement bilingue. L’UBO a pourtant signé la convention Etat-Région de mars 2022. La Bretagne sera donc la seule région académique à ne pas disposer d’une LPE bilingue alors qu’elles sont mises en place pour le corse, l’occitan , le catalan, le basque.. On annonce certes un maintien uniquement en Bretagne de la LPPE[2] bilingue, et ce malgré le fait que l’ensemble des LLPE disparaissent en France en 2026 (selon l’arrêté publié le 9 octobre 2025). Mais il n’y aucun engagement à ce jour sur la mise en place du “fast track”[3] qui est l’intérêt principal de cette formation.
Les enseignants bilingues représentent cette année à peine plus de 4 % des nouveaux professeurs des écoles publiques de l’académie de Rennes (soit 7 admis au concours bilingue). Le concours bilingue (avec un seul centre de formation situé à Saint-Brieuc, ne répondant pas à la localisation des étudiants intéressés par l’enseignement bilingue …) peine à se montrer attractif par rapport au concours monolingue dans l’académie (1866 inscrits pour 137 places). Or les LPE ont été justement créés pour pallier le manque d’attractivité criant du métier d’enseignant dans certaines académies, ce qui n’est pas encore le cas pour le concours monolingue en Bretagne. Là encore, nous sommes très loin de l’objectif des 50 % de postes bilingues aux concours (et des 80 postes d’enseignants bilingues nécessaires) prévu par la convention Etat-Région de mars 2022.
Nous constatons donc que la loi du 21 mai 2021 relative à la protection des langues régionales et à leur promotion dite “Loi Molac” n’a pas trouvé le moindre début d’application en Bretagne. Elle prévoyait en outre dans le cadre de l’article L 312-11-2 institué par cette loi, la généralisation de l’enseignement de la langue bretonne dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires, collèges et lycées. Or rien n’a démarré dans le premier degré. De même, l’académie ne respectera pas les engagements pris par l’Etat dans le cadre de la convention spécifique de mars 2022.
Nous ne pouvons que noter l’aspect “deux salles , deux ambiances” quand nous avons appris la signature de la convention État-Collectivité de Corse le 2 octobre 2025 avec la généralisation de l’enseignement bilingue en Corse, la création de 70 classes immersives dans l’enseignement public, un financement par la Communauté de Corse de la formation des enseignants de 1,3 M€ pour porter l’effectif à 180 enseignants bilingues formés par an, une licence LPE uniquement bilingue en Corse en 2026 (pas de LPE en monolingue), un master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation) bilingue uniquement (le Master MEEF monolingue disparaissant). Certains médias corses titraient ainsi “l’union sacrée” lors de la signature de cette convention. Rien de tel en Bretagne 4 ans après le vote de la loi Molac. Nous rappelons que notre association et Div Yezh Breizh, l’association des parents pour le développement de l’enseignement bilingue breton-français à l’école publique attaquent en justice l’État (une requête au tribunal administratif de Rennes a été déposée en février 2025 pour inexécution par l’État de ses obligations tirées de la convention de mars 2022).
Cependant, sans un solide soutien et une volonté réelle de l’exécutif du Conseil Régional de Bretagne et des parlementaires bretons pour demander expressément à l’État et au Ministère de L’Éducation nationale de respecter ses engagements, à l’instar des élus corses (mais nous pourrions également citer la volonté des élus basques), le bilan de la convention de mars 2022, signée pourtant en présence du Premier Ministre de l’époque Jean Castex, sera tout simplement catastrophique dans le domaine de l’enseignement.
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[1] Cette formation a été mise en place suite à différentes pressions auprès du Ministère, l’académie de Rennes était une des rares à ne pas avoir mis en place une formation équivalente pour une langue régionale.
[2] Licence Préparatoire au Professorat des Ecoles (LPPE) : Cette licence expérimentale créée en 2022 avec une licence par Académie ont préfiguré en France la création et la généralisation des nouvelles LPE qui vont remplacer les LPPE expérimentales. En région Académique Bretagne, la LPPE a été créée dans le cadre de la convention de mars 2022 comme licence bilingue. Il était en outre précisé dans la convention de mars 2022 que de “En fonction de l’intérêt manifesté par les étudiants sur ce dispositif préparant plus d’étudiants à l’entrée en master MEEF, de nouvelles classes pourront être ouvertes sur le territoire breton”
[3] Dispositif réservant 60 % des postes aux concours avec un accès direct aux épreuves d’admission à l’oral sans passer par le concours , sous réserve de validation d’un certain nombre de compétences en Licence.