Analyse et point de vue : rapport au 1er ministre sur l’enseignement des langues régionales

Préambule : vous trouverez ici le courrier d’accompagnement que nous avons reçu du député Yannick Kerlogot  avec le rapport papier en Août.

ANALYSE ET POINT DE VUE , par Renan KERBIQUET, Co-président de Kelennomp! du Rapport au Premier Ministre remis le 21 juillet 2021 : « L’ENSEIGNEMENT DES LANGUES RÉGIONALES : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES APRÈS LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 21 MAI 2021 » 

Et maintenant : on fait quoi en fait ? C’est un peu ce qui vient à l’esprit suite à la lecture du rapport parlementaire sur l’enseignement des langues régionales de MM. Kerlogot et Euzet .

Certes, on retiendra le sérieux du travail de synthèse des deux députés sur l’état des lieux chiffré et précis des différentes modalités d’enseignement des langues dites « régionales » ainsi que sur le plan juridique (l’historique des différents dispositions prises dans le domaine des langues régionales depuis la loi Deixonne dans l’enseignement en 1951 et la jurisprudence récente du Conseil d’État et du Conseil Constitutionnel en la matière) mais on reste globalement sur sa faim quant aux propositions contenues dans le rapport.

Or c’était bien pourtant l’objectif principal annoncé lorsqu’il avait été confié le 8 juin dernier à ces deux parlementaires une mission suite la censure partielle par le Conseil Constitutionnel de la loi Molac sur les langues régionale votée an avril dernier et notamment de l’article 4 de la loi Molac sur l’enseignement immersif des langues régionales dans les écoles publiques votées .

Il s’agissait d’offrir des perspectives suite à cette censure qui a impacté, non seulement l’enseignement public, mais assombrit fortement l’avenir des écoles associatives sous contrat pratiquant cette forme d’enseignement.

Dans le commentaire de la décision du Conseil Constitutionnel en date du 18 juin, il était précisé clairement que ce n’était pas seulement dans l’Éducation Nationale que l’immersion était interdite (où quelques expérimentations officielles ont lieu dans quelques écoles en pays basque, catalan et en corse) mais également dans les écoles associatives sous contrat, donc associées au service public de l’enseignement. Au passage, les auteurs passent sous silence le « cafouillage » du Conseil Constitutionnel qui précisait que, dans un premier temps, cela ne concernait que l’enseignement public (voir ici l’ancienne version du commentaire du Conseil Constitutionnel) avant de se raviser et de mentionner le « service public de l’enseignement ».

Le conseil constitutionnel mentionnait ainsi que ce type d’enseignement, était « en contradiction avec les exigences résultant de l’article de 2 de la constitution » (qui précise que « la langue de la république est le français »).

Cette décision qui, au départ, ne concernait pas ces écoles associatives (l’article 4 traitant de la possibilité d’un enseignement immersif dans les écoles publiques) a donc eu pour conséquence immédiate de rendre inconstitutionnelles l’ensemble de ces écoles associatives, pratiquant cette méthode d’enseignement. Elle compromet à relativement court terme (mais pas forcément de façon immédiate pour la rentrée 2021) leur avenir et leur développement. C’est le cas de Diwan en Bretagne, de Seaska en pays basque, de Bressola en pays catalan, de Calendreta en pays Occitan, de ABCM-Zwei sprachigkeit en Alsace-Moselle et du nouveau réseau en Corse Scola Corsa qui ouvrira à partir de septembre 2021.

Les auteurs du rapport, avant d’aborder leurs propositions, nous livrent d’abord une interprétation de la lecture qui peut être faite de la décision du Conseil Constitutionnel .

Ils rappellent que « le Conseil Constitutionnel a tiré l’inconstitutionnalité en cause de ce que l’enseignement immersif, tel qu’il était décrit dans les travaux préparatoires de la loi (à savoir : « un enseignement effectué pour une grande partie du temps scolaire dans une langue autre que la langue dominante »), est une méthode qui ne se borne pas à enseigner cette langue mais consiste à l’utiliser comme langue principale d’enseignement et comme langue de communication ».

Les auteurs du rapport déclarent, dans un premier temps, considérer comme possible de concevoir une pratique de l’enseignement immersif conforme aux exigences constitutionnelles, mais sous réserve de clarifications qu’ils jugent nécessaires.

Ainsi au niveau de la langue de communication, ils estiment que l’on pourrait considérer la langue régionale comme le prolongement de l’enseignement d’une langue, justifiée par des objectifs pédagogiques, et qui ne s’impose en aucun cas aux élèves y compris sur le temps périscolaire. De même, ils constatent que, dans les faits, la communication de ces réseaux associatifs avec leurs partenaires institutionnels se fait en français de même qu’avec les parents même si certains écrits sont bilingues. Les auteurs proposent donc de rappeler que « la langue de communication avec les acteurs institutionnels et les parents usagers est le français » et que, si la langue régionale peut être utilisée à l’intérieur de l’établissement, c’est de façon « facultative et sur le fondement de justificatifs pédagogiques ».

Plus difficile semble être, selon eux, l’interprétation qui peut être faite de « la langue principale d’enseignement », les auteurs le qualifient d’ailleurs de « point d’achoppement principal ».

Ils mentionnent pour mémoire l’interprétation du Conseil d’État de novembre 2002 qui avait eu pour conséquence la non intégration des écoles Diwan dans l’Éducation Nationale.  Ils rappellent que le commissaire du gouvernement de l’époque définissait alors l’enseignement immersif pratiqué par Diwan comme « un enseignement dès la maternelle qui consiste en une éducation exclusive en toute matière, en breton, qui est également la langue de vie de l’établissement. Le français est introduit progressivement dans l’enseignement à compter seulement du second cycle de l’école élémentaire. Dans le secondaire, le breton reste la langue principale de tous les enseignements et la langue de vie des établissements ». Les auteurs rapportent également ses propos à savoir que l’enseignement bilingue dit à parité horaire « constituait la limite extrême de ce qui pouvait être fait dans le service public ».

Les auteurs notent en outre que cette décision avait également impacté l’enseignement bilingue à parité horaire au sein de l’Éducation Nationale puisque le Conseil d’État avait jugé illégales les dispositions de l’arrêté du 31 juillet 2001 définissant cet enseignement, en « relevant qu’elles ne comportaient aucune règle sur la répartition des différentes disciplines entre l’enseignement en français et l’enseignement en langue régionale et ne permettaient pas d’assurer qu’une partie au moins de ces enseignements dans ces disciplines se font en français ».

Ainsi, suite à la décision du Conseil d’État, il avait été effectivement rajouté au paragraphe 1 de la circulaire de 2001sur l’enseignement bilingue (circulaire N°2003-090 du 5-6-2003), concernant les « modalités de l’enseignement bilingue à parité horaire »), à la phrase suivante : « l’enseignement bilingue à parité horaire commence à l’école maternelle, dès la petite ou moyenne section, et se poursuit à l’école élémentaire. La langue régionale est à la fois langue enseignée et langue d’enseignement dans plusieurs domaines d’activités et d’apprentissage« , la mention : « toutefois, dans ces domaines, l’enseignement ne peut être dispensé exclusivement en langue régionale » 

Selon, les rapporteurs, l’interprétation qui pourrait être donc faite de la décision du Conseil Constitutionnel est qu’il ait jugé « problématique la méthode dite immersive telle que définie dans la loi Molac (pour rappel : «  un enseignement effectué pour une grande partie du temps scolaire dans une langue autre que la langue dominante ») au regard des exigences de l’article 2 (de la Constitution) le fait de supprimer tout enseignement en français dans un établissement scolaire du service public de l’éducation et toute évaluation en français lors des examens ».

La solution pour le maintien de la méthode pédagogique de l’immersion pourrait passer, selon les rapporteurs, par un « renforcement du français avec l’introduction du français dans tous les établissements dès le CE1 », critère que les auteurs disent être satisfait dans les faits à de très rares exceptions et d’autre part qu’il soit « engagé une discussion pour ménager un temps supplémentaire hebdomadaire réservé à l’enseignement du français en maternelle ».   Les auteurs rajoutent que cela « pourrait être la contrepartie d’une validation des dispositifs existants » même si, précisent t’ils, le second point « risque de rencontrer davantage de résistances ».

Les auteurs concluent que l’enseignement immersif pourrait être ainsi défini comme « un enseignement bilingue sans parité horaire », dans le cadre de l’art L 312-10 du code de l’éducation. Les auteurs font également remarquer que cet article n’enserre pas l’enseignement bilingue dans une exigence de parité horaire et de de fait l’enseignement dit immersif pourrait « être vue, dans les faits, comme un enseignement bilingue pouvant être qualifié de renforcé ou intensif ».

Finalement, on devrait donc trouver une porte de sortie ?

Pas si simple, car tout au long du rapport à maintes reprises, les auteurs rappellent qu’il ne s’agit que d’une «interprétation» de la décision du Conseil Constitutionnel.

Les auteurs rappellent que « le Conseil Constitutionnel n’explicite naturellement pas, dans le commentaire ou la motivation de sa décision, le sens qu’il pourrait donner à la notion de « langue principale d’enseignement » et dans la lecture de la décision sur ce point ». Les auteurs précisent également « qu’il parait difficile de savoir si c’est la définition de l’enseignement immersif par les parlementaires (un enseignement effectué pour une grande partie du temps scolaire  dans une langue autre que la langue dominante) qui a été censuré ( ils précisent alosr que « cela rendrait alors  impossible  tout aménagement en dehors d’un enseignement bilingue strictement paritaire » ) ou si le Conseil Constitutionnel  s’est appuyé sur d’autres travaux parlementaires dont le ton suggérait que l’objectif de la méthode de l’immersion est la substitution de la langue régionale au français, pour définir l’enseignement immersif ».

Et pour bien enfoncer le clou, on trouve plus loin la phrase suivante : « Définir la méthode pédagogique suivant ces lignes, ne saurait néanmoins garantir la conformité à la constitution du dispositif envisagé, les contours que le Conseil Constitutionnel donne au concept de langue principale d’enseignement restant incertains, alors qu’on ne peut aucunement compter sur le fait que ceux que lui donnent le Conseil d’État, constants depuis 2002 soient modifiés ».

Il faut donc comprendre que la réelle interprétation à donner à la décision du Conseil Constitutionnel pourrait être donc encore plus restrictive.  Rappelons que c’est justement cette interprétation de la décision du Conseil d’État qui avait amené à modifier l’arrêté du 31 juillet 2001 sur l’enseignement bilingue à parité horaire.

Les auteurs rajoutent en outre que « s’il soit souvent objecté que les conclusions du Conseil d’État ne lient pas le Conseil Constitutionnel, il y a encore lieu de rappeler qu’il reviendrait au juge administratif saisi d’une demande d’annulation d’actes règlementaires encadrant l’enseignement immersif de mettre en œuvre cette interprétation des exigences de l’article 2 de la constitution, conforme à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel sans que rien ne puisse présumer d’une inflexion de la jurisprudence du Conseil d’État ne soit à prévoir, la jurisprudence du Conseil d’État, qui a force de chose jugée, étant elle-même constante ». Fermé le ban, pourrait-on dire !

Alors dans un contexte qui semble donc des plus flous, que nous propose donc ce rapport pour remédier à cette situation pour l’enseignement immersif tant pour l’enseignement public (dispositifs expérimentaux pour le corse, le basque et le catalan) que pour les écoles associatives sous contrat ?

Déjà rien ne semble être clair pour les dispositifs d’immersion en cours sous forme dite « expérimentale »dans les écoles maternelles publiques. On retiendra simplement ce qui est mentionné par les auteurs et qui semble s’appliquer également aux écoles associatives sous contrat pratiquant l’enseignement immersif, à savoir : « Bien qu’autorisé sur le fondement d’expérimentations, dont la constitutionnalité semblait déjà, à certains égards très incertaine (une expérimentation même autorisée par la loi ne pouvant jamais déroger à la constitution), l’enseignement immersif s’inscrivait dans un cadre juridique insuffisamment tracé, constituait une source d’insécurité et de précarité pour les acteurs. »

La messe semblerait donc dite pour l’enseignement immersif dans l’enseignement public. Pourtant, dans la lettre de mission de Castex des députés Kerlogot et Christophe Euzet (il était mentionné que « il importe d’examiner les conséquences de cette décision, aussi bien pour pour les classes proposant des formes d’enseignement immersif dans l’enseignement public que pour celles relevant du secteur privé sous contrat », c’est à dire réseaux associatifs ».

 

En matière de propositions, les auteurs examinent ainsi  une première piste avec l’adoption d’une circulaire modifiant la circulaire 2017 sur l’enseignement des langues régionales pour « sécuriser l’existant » ou « tout autre acte de droit souple (instruction, lettre aux recteurs…) » en « reprenant la définition limitative de l’enseignement immersif ». On fera remarquer l’absence de précision dans le domaine à l’inverse de la partie précédente du rapport plutôt pointilleuse en terme d’analyse juridique.

Que contiendrait alors cette modification de la circulaire ou autre « acte de droit souple » ?

  • « Le caractère facultatif de ce type d’enseignement dit « immersif » mais qui était déjà présent dans l’article 4 de la loi Molac,
  • « L’objectif du bilinguisme et de la maîtrise égale de la langue française et de la langue régionale». On peut objecter que cet objectif était présent dans l’ancienne circulaire de 2001 sur l’enseignement bilingue à parité horaire. Les objectifs de l’acquisition de la langue régionale étaient ainsi indexés sur ceux du français : « À l’issue de l’école maternelle, il est souhaitable que les enfants sachent s’exprimer, à l’oral, dans la langue régionale, de façon compatible avec les intérêts et l’expérience d’enfants de leur âge. À la fin du CM2, les compétences seront du même ordre, sinon de la même ampleur, que celles acquises en français. Elles seront mises en relation avec celles définies pour les cycles à l’école primaire par les programmes officiels. »,
  • « Le caractère facultatif et limité à des fins pédagogiques de l’utilisation de la langue régionale comme langue de communication à l’intérieur de l’établissement »
  • Enfin, « La place nécessaire du français conçue de manière globale » (c’est-à-dire sur les 3 cycles de l’école primaire)

Mais, les auteurs semblent rapidement fermer la porte à leur première proposition en affirmant : « Toutefois, le risque contentieux serait en l’état extrêmement élevé et pourrait conduire le cas échéant à une suspension par le juge des référés du Conseil d’État suivie d’une décision d’annulation, dans la droite lige de ses décisions antérieures ».

 

Comme seconde piste de propositions, les auteurs évoquent des « adaptations locales à encourager, à condition toutefois qu’elles ne reviennent pas à faire de l’enseignement immersif une modalité de l’enseignement bilingue à parité horaire ».

Mais on a un peu de mal à savoir ce qu’il en retourne : les auteurs parlent d’« un travail des rectorats avec les associations » sur leurs contrats d’association « permettant de clarifier et de consolider leurs pratiques » en précisant plus loin « avec l’introduction du français à l’écrit à partir du CE 1 » (déjà en pratique dans la plupart des réseaux associatifs sous contrat) ;

On y évoque aussi les conventions État-collectivités qui arrivent pour beaucoup à échéance (Bretagne, Corse, Occitanie, Nouvelle-Aquitaine) mais « en rappelant les exigences de l’article 2 de la constitution » mais sans plus de détails.

On parle de « souplesse » afin de « laisser libres les enseignants et directeurs des modalités que pourrait prendre cette place renforcée du français dans le temps scolaire ».

On a du mal à percevoir quelle est, au final, la préconisation opérationnelle si l’on renvoie à l’échelon de l’école ou de l’enseignant ce qu’il faut faire, le tout intégré dans une convention État-Région…L’usine à gaz semble assuré !

On y parle également « d’accords prévoyant une clause de rendez-vous régulière permettant d’évaluer le niveau de français et de langue régionale des élèves, par exemple, au moment du passage en 6ème. Les résultats positifs de ces évaluations conditionneraient alors la pérennité du dispositif en l’état ». Là encore, on a du mal à comprendre : autant, l’ensemble des acteurs souhaite qu’il y ait ce type d’évaluation régulière et consolidée en comparant avec un échantillon caractéristique d’élèves monolingues pour chaque territoire, autant on ne comprend pas trop si cela veut dire que les contrats d’association pourraient être remis chaque année en question sur cette base.

Cerise sur le gâteau, on confierait donc à « l’échelon local, les instruments d’une négociation en vue d’une définition de l’enseignement immersif en convergence avec les exigences de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel conformément à l’interprétation proposée ». On peut raisonnablement se poser la question si chaque enseignant ou responsable d’école se doit de se transformer rapidement en juriste constitutionnel pour définir au niveau local les pratiques et modalités d’un enseignement dit immersif ?

Mais là, encore les auteurs semblent rapidement conclure que leurs préconisations ne sont qu’une « interprétation » (en gras italique dans le rapport) et que cette solution « ne garantit pour autant pas que les pratiques ainsi redéfinies soient en tout point compatibles avec les exigences de l’article 2 de la constitution ». Bis repetita !  Sous-entendu, nous ne sommes sûrs de rien.

 

La troisième solution envisagée serait « d’engager un travail législatif proposant une modification de l’article L 312-10 du code de l’Éducation sur l’enseignement des langues régionales ».

Les auteurs du rapport précisent d’ailleurs que ce point leur apparaît « nécessaire sur le plan politique afin de rassurer les directeurs d’établissement et de réseaux associatifs »

Ils préconisent donc un « travail de définition de l’enseignement immersif de façon à le rendre pleinement compatible avec les motifs de la décision du Conseil constitutionnel. ».

Les auteurs re-précisent ainsi les « limites à ne pas franchir au sein du service public de l’enseignement » à savoir : « le caractère facultatif et donc volontaire de l’immersion, l’objectif final de maîtrise des deux langues, le nécessaire enseignement du et en français sur les 3 cycles de l’enseignement primaire envisagés comme une globalité, des clarifications quant à la langue de communication des établissements »

Mais, gros Bémol, les auteurs disent ne pas voir à quel texte législatif en projet, pourrait se rattacher ce travail législatif pour la fin 2021 et rejettent en sous-entendu que la prochaine loi sur la décentralisation puisse accueillir un tel article de loi. On peut « interpréter » que pour 2022, avant les élections présidentielles, cela ne semble guère envisageable non plus …De surcroit, les auteurs rappellent « qu’on ne saurait préjuger en rien du contrôle de constitutionnalité qu’il (le Conseil Constitutionnel) pourrait être amené à exercer lors d’une potentielle nouvelle saisine ».

Nous ne sommes donc surs de rien non plus, une fois encore !  mais « point positif » selon les auteurs du rapport « une disposition de cet ordre inscrite dans un projet de loi, définissant l’enseignement immersif de façon rigoureuse et claire serait examinée en amont devant le Conseil d’État et ferait l’objet d’une procédure consolidée ».

Il y a là en effet de quoi grandement rassurer les acteurs de l’enseignement immersif puisque dans les pages précédentes du rapport, il nous était expliqué que le Conseil d’État avait une interprétation sur ce point encore plus restrictive que le Conseil Constitutionnel, dans sa décision de 2001, suite à la non intégration de Diwan dans l’Éducation Nationale.

 

Les auteurs évoquent ensuite rapidement comme dernière solution qu’une « réflexion pourrait être engagée à plus long terme sur l’opportunité éventuelle d’une révision de la constitution ».

Cependant à la lecture des quelques éléments cités sur une courte page, on aura vite compris que l’option n’est pas vraiment privilégiée.

Pour les auteurs, il semble que cela devrait « s’inscrire dans une concertation plus large, et de plus long terme, par exemple sur la place des langues régionales dans la constitution » en précisant plus loin que « cette modification devrait porter sur l’article 75-1 intégré à la constitution depuis 2008 qui traite de la place des langues régionales (« Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ») pour donner une « consistance concrète et vivante appliqué à l’Éducation à cet article » .

On rappelle que les auteurs avaient cependant cité dans la première partie de leur rapport, la décision du Conseil Constitutionnel, saisi par renvoi du Conseil d’État en 2011, qui avait affirmé que cet article de la constitution « n’instituait pas un droit ou une liberté que la constitution garantit » (CC, n° 2011-130 QPC).

En outre, selon les auteurs, une telle révision ne « permettrait pas de surmonter l’ensemble des obstacles identifiés ». Les auteurs réaffirment une énième fois que le « Conseil constitutionnel serait amené à articuler dans son contrôle l’article 2 de la constitution dont la suppression n’est aucunement à l’ordre du jour ».

 On aurait quand même aimé une analyse un peu plus détaillée sur les possibilités de modification de l’article 2 de la Constitution française qui, évidemment, ne peut être supprimé puisqu’il contient des éléments de base de la constitution française de 1958 (drapeau, hymne, devise de la République, principe de gouvernement), éléments en outre repris de façon quasi identique de l’article 2 de la constitution française de 1946. Mais une information sur la date de l’introduction de la phrase « le français est la langue de la république » et le pourquoi de cette introduction, mention qui est à l’origine du blocage complet en la matière et des censures répétées tant du Conseil d’État que du conseil Constitutionnel, n’aurait pas été forcément inutile.

On aurait donc souhaité que les auteurs rappellent que cette phrase n’a été introduite qu’avec la révision de la loi constitutionnelle de 1992.  Lors du vote sur l’ajout de cette mention dans la constitution françasie, le Garde des sceaux de l’époque, Mme Elisabeth Guigou, avait alors a certifié aux députés et sénateurs que cette précision ne nuirait aucunement aux langues régionales. On voit ce qu’il en a été… Comme la loi Toubon de 1996, destiné à protéger le patrimoine linguistique français, qui visait alors à assurer la primauté de l’usage de termes francophones traditionnels face aux anglicismes, en s’appuyant sur la nouvelle mention de l’article 2 de la constitution, cette disposition a été dans les faits maintes fois utilisée contre les autres langues de France.

On a ainsi la sensation qu’une réelle analyse de la possibilité d’une modification de l’article 2 de la constitution n’a pas vraiment voulu être « creusée »ni menée à son terme. 

Au final, nous avons donc …une absence totale de solutions garanties sur le plan juridique. En outre, se dégage une désagréable impression que les auteurs ont sinon bâclé la partie « propositions » du moins qu’ils n’ont pas eu le temps de la finaliser sérieusement.  Alors pourquoi l’avoir rendu au cœur de l’été ?

La question déjà posé suite à la censure du Conseil Constitutionnel le 21 avril derrnier reste donc entière : on fait quoi maintenant ?

Et même si les auteurs nous disent que pour la rentrée 2021/2022, il ne semble pas avoir de remise en cause de l’existant à très court terme, il semble difficile de voir en quoi ces propos puissent rassurer les acteurs de l’enseignement immersif (public et associatif).

Les auteurs nous font part ensuite d’autres préconisations qu’on pourrait cependant qualifier de « hors sujet » car elles ne peuvent être assimilées à des propositions répondant directement au blocage engendré par la décision du Conseil Constitutionnel.

On notera ainsi la volonté de ressusciter un « conseil national de l’enseignement des langues régionales », organe de concertation qui serait dirigé et piloté par le Ministère de l’Éducation Nationale, afin de « bâtir une stratégie nationale cohérente » comme les « recrutements, compétences, pratiques pédagogiques ».

Même si l’idée sur le papier peut sembler à priori intéressante, on ne peut être que dubitatif ! Comme nombre d’acteurs l’ont déjà fait remarquer, ce conseil a déjà existé en 1986 et n’a jamais fonctionné.

De plus, on voit mal l’actuel Ministre de l’Éducation Nationale se saisir du sujet quand les auteurs du rapport rappellent eux-mêmes que la modification des programmes d’enseignement pour la maternelle, applicable à la rentrée 2021, constitue une (nouvelle) source d’inquiétudes pour les acteurs de l’enseignement immersif mais aussi pour les acteurs de l’enseignement bilingue dit à parité horaire. « La notion d’acquisition du langage est remplacé dans le nouvel arrêté par la notion d’acquisition de la langue française, les langues régionales ne pouvant être mobilisées que pour l’éveil à la diversité linguistique ». Les auteurs rappellent que « cela est perçu comme une (nouvelle) menace majeure pour l’enseignement immersif et bilingue ».

De même, les auteurs rappellent que le nouveau baccalauréat est « jugé inéquitable dans la mesure où il ne permet pas de valoriser la maîtrise d’une langue régionale de la même manière que les langues de l’antiquité » par exemple. Les auteurs constatent que les acteurs consultés « dénoncent une  forme d’inertie ». En effet depuis 2 ans, l’ensemble des acteurs de France concernés par les sujets des langues de France au baccalauréat se sont constitués en un collectif national, « Pour que vivent nos langues », et ont fait des propositions concrètes en la matière, sans qu’aujourd’hui rien n’est été mis en place pour corriger les effets désastreux des nouvelles mesures prises par l’Éducation Nationale sur l’enseignement des langues régionales au baccalauréat (lire ici, ou bien ici, encore ici et ) .

Enfin, on rappellera que depuis la loi de refondation de l’école du 8 juillet 2013, l’article L 312-10 du code de l’Éducation donne aux collectivités locales le soin de définir avec l État les modalités pratiques de l’enseignement des langues régionales :  “Leur enseignement (ndlr : des langues et cultures régionales) est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage. Cet enseignement peut être dispensé tout a long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre L’État et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage !” Les auteurs rappellent en outre que la plupart de ces conventions sont arrivés ou arrivent à échéance et que se pose la question des « conditions de négociation de leur renouvellement ».

Or ces conventions sont en mesure de définir les éléments comme le recrutement des enseignants, les postes offerts aux concours, la formation des enseignants, les compétences attendues, le développement de la carte d’enseignement des sites bilingues à laquelle sont associés les offices publics de langues régionales. En Bretagne, le blocage des négociations avec le Ministère de l’Éducation Nationale sur le renouvellement de cette convention avait entraîné une manifestation de plus de 5 000 personnes le 13 mars dernier à Quimper et la demande d’une reprise rapide des négociations sur la base de 10 propositions. On attend toujours !

On pourra retenir également les propositions en termes de renforcement de l’évaluation quantitative des résultats de l’enseignement bilingue avec « un état des lieux consolidé des résultats et conduit par des tiers » et en « les comparant avec un échantillon significatif du reste des 12 millions d’élèves scolarisés ». On ne peut qu’évidement souscrire à ce type d’évaluations régulières puisque c’est une demande de la plupart des acteurs. Des évaluations institutionnelles ont bien été menées en Bretagne sur le niveau de breton mais jamais de manière scientifique et mené par les acteurs eux-mêmes. D’autres ont été menées sur le niveau  de français et de mathématiques mais le rectorat de l’académie de Rennes s’est toujours refusé de comparer les résultats des filières bilingues entre elles et avec les autres élèves.

 

Enfin, pour conclure, on peut se poser de la pertinence de l’opposition faite entre d’une part l’enseignement bilingue (supposé à « parité horaire ») et l’enseignement dit « immersif ».

 Dans une contribution adressée à la mission parlementaire, Gwenole Larvol, universitaire à l’université de Rennes 2, avait fait parvenir un document nommé « enseignement en langues dites « régionales »:la parité horaire en question ».

Cette analyse si elle avait réellement prise en compte aurait peut-être permis de reposer le débat non sur un plan idéologique ou constitutionnel seul, bilinguisme versus immersif, mais également sur le plan des pratiques pédagogiques réelles.

Larvol, dans sa contribution, rappelle ainsi que dans sa proposition de loi initiale en 1ère lecture , le député Paul Molac posait ainsi le « principe de reconnaissance de l’enseignement bilingue français -langues régionales, quel que soit la durée des enseignements dispensés dans ces deux langues, dans le respect des objectifs de maîtrise de la langue française fixés par le code de l’éducation » dans l’exposé des motifs de l’article 4 de la première proposition de loi.

Le député proposait donc de rajouter à la mention de l’article L.312-10 du code de l’éducation, « un enseignement bilingue en langue française et en langue régionale », le complément suivant : « dans le respect des objectifs de maîtrise des deux langues à chaque niveau d’enseignement » et ce sans plus préciser la durée d’enseignement dans les deux langues. Dans la version finale, adoptée en deuxième lecture, le texte prévoyait d’ajouter finalement une 3éme forme d’enseignement facultatif appelée « enseignement immersif ».

L’article aurait dû donc être libellé de la façon suivante (après le rajout en gras), suite à l’adoption de l’article 4 de la loi Molac, s’il n’y avait eu la censure partielle du Conseil Constitutionnel :

L’enseignement facultatif de langue et culture régionales est proposé́ dans l’une des deux [trois] formes suivantes :

1° Un enseignement de la langue et de la culture régionales ;
2° Un enseignement bilingue en langue française et en langue régionale.

Un enseignement immersif en langue régionale, sans préjudice de l’objectif d’une bonne connaissance de la langue française.

Comme le note la contribution, « on est ainsi passé d’une définition d’un enseignement bilingue recouvrant l’enseignement immersif à une autre pour laquelle l’enseignement bilingue est complémentaire de cet enseignement immersif ».

La censure  du Conseil Constitutionnel a finalement entériné une opposition entre enseignement bilingue contre enseignement immersif comme le confirme ensuite l’analyse du rapport parlementaire Kerlogot-Euzet.

Or, cela n’a guère de sens. Comme le rappelle Larvol, « Une définition minimale de l’enseignement immersif pourrait être celle d’un enseignement en langue, par opposition à̀ un enseignement de langue. Enseigner l’anglais en anglais correspondrait à̀ un enseignement immersif, à l’instar de l’enseignement de n’importe quelle matière dans une langue seconde (L2) pour l’élève. En suivant cette définition, on considère que l’enseignement bilingue est donc, de fait, un enseignement immersif, car on y enseigne théoriquement l’ensemble des matières dans les deux langues. »

Un enseignement bilingue qui présente des enseignements en L1 (le français) en L2 (langue « régionale ») peut être donc considéré comme immersif avec une immersion partielle en L2. Larvol propose de nommer ces différentes formes d’enseignement bilingue, selon leur degré d’immersion en L2 . Ainsi, il propose ainsi une classification des différentes formes d’enseignement bilingues suivant le temps d’exposition à la langue régionale: d’une immersion partielle atténuée (moins de 50 % du temps de classe en langue régionale), à l’immersion totale (100% du temps de classe langue régionale) en passant par la semi immersion (parité horaire), l’immersion partielle renforcée (plus de 50 % du temps de classe) et enfin l’immersion presque totale (tous les enseignements en langue régionale avec un enseignement de la langue française).

Larvol ajoute que « Considérées sur un parcours scolaire, toutes les filières d’enseignement en langues dites «régionales » présentent, à un niveau ou à̀ un autre, des temps de classe en français. Ce sont donc toutes des filières bilingues, même les filières dites « immersives » de l’enseignement associatif »

On notera que le Pays de Galles établit une typologie comparable pour les écoles primaires (voir https://gov.wales/sites/default/files/publications/2018-02/defining-schools-according-to-welsh-medium-provision.pdf). Il propose 5 définitions d’écoles primaires suivant l’importance de l’emploi de la langue galloise dans les enseignements : « welsh medium primary schools » (avec un minimum de  70 % d’enseignement via le gallois), « dual steam primary schools » (avec 2 sous types avec plutôt l’anglais légèrement dominant ou plutôt le gallois légèrement dominant, ce qui pourrait être comparable à la « parité horaire » ), « transitional primary schools » ( de 50 % à 70 % de l’enseignement via  le gallois), « Predominantly English primary schools with significant use of welsh » ( Le gallois est utilisé entre 20 % et 50 % de l’enseignement), « Predominantly english medium primary schools » ( le gallois est utilisé dans moins de 20 % des enseignements).

Cela apparait en cohérence avec la définition de l’immersion (bilingual immersion) donné par Carol Baker, référence internationale dans le domaine de l’enseignement bilingue (voir Foundations of Bilingual Education and Bilingualism, 5ème édition, 2011, Multilingual Matters). Il définit généralement l’enseignement bilingue immersif total pour l’immersion dite précoce (commençant en maternelle) comme une forme d’enseignement commençant avec 100 % dans la langue seconde, réduit au bout de 3 ou 4 ans à 80 % puis tendant vers 50 % dans la langue seconde en fin de cycle en primaire. A l’inverse, Baker parle d’immersion partielle quand la langue seconde est utilisée autour de 50 %.

De même, il convient d’interroger la pratique réelle de ce qu’on appelle « l’enseignement bilingue dit à parité horaire ». Ainsi sur les 52 % des 207 enseignants bilingues publics du Finistère ayant répondu à un questionnaire, leur demandant, selon leurs estimations, la répartition horaire entre le breton et le français dans leur classe, 60 % des répondants ont indiqué qu’ils enseignaient plus de la moitié du temps en breton et 18 % moins de la moitié. Seuls 22 % déclaraient appliquer une parité horaire stricte.

Si on interroge les raisons pour lesquelles les enseignants dépassent la parité horaire, 60 % justifiant cette démarche par un besoin pédagogique. Larvol note également qu’aucun des témoignages recueillis ne considèrent positive l’organisation à parité horaire. « La possibilité de moduler et de pouvoir renforcer le taux d’exposition au breton des élèves est demandée par l’ensemble des enseignants et de nombreux enseignants de maternelle demandent à pouvoir pratiquer l’immersion totale en breton ».

Ainsi la circulaire sur l’enseignement bilingue à parité horaire de 2001, permettait en fait d’aller au-delà de 50 % (et ce sans forme expérimentale comme c’est le cas actuellement pour le corse, le basque et le catalan). Il était alors indiqué dans le paragraphe 5 dans la partie « principes et modalités d’organisation » (école primaire)  « lorsque les conditions permettent  d’intensifier l’enseignement et la pratique de la langue régionale dans la vie de la classe et de l’école des formes d’enseignement plus intensives pourront être envisagées dans le cadre du projet d’école ». Ce paragraphe de la circulaire avait été ensuite supprimé en 2003 suite à la décision du conseil d’État de 2002.

 

Il est donc effectivement urgent de sortir du cadre idéologique français pour le ramener dans un cadre pédagogique pour l’intérêt et le bénéfice des élèves suivant ce type d’enseignement et accessoirement des enseignants. Il convient enfin de prendre en compte la recherche importante dans ce domaine au niveau international et tenir compte de l’expérience dans le domaine de nombreux pays en Europe, notamment de nos proches voisins.